Alain Findeli aux 8e Ateliers de la Recherche en Design à Nîmes, 2013.

De l’objet au projet

Nous considérons le monde non pas seulement comme un objet à observer, décrire, expliquer, comprendre, mais encore et surtout comme un projet à imaginer, inventer, réaliser, construire (Boutinet, 1990). Ce que nous cherchons à connaître et à améliorer grâce aux projets de design sur lesquels se fondent nos recherches, c’est ce que nous appelons l’« habitabilité du monde » (Findeli, 2010). Entendue aux plans physique, psychique, social et culturel, celle-ci désigne la nature et la qualité des interactions entre les humains, considérés comme habitants du monde, et les environnements naturels et artificiels qui forment ce monde. L’un des fondateurs de notre discipline, Herbert Simon, le soulignait déjà en 1969 dans Les sciences de l’artificiel : « Everyone designs who devises courses of action aimed at changing existing situations into preferred ones ».

On comprendra donc que le concept de projet, qui donne son nom à l’unité, constitue un de nos objets scientifiques privilégiés. En effet, les théories actuelles du projet ne sont pas satisfaisantes et elles exigent d’être actualisées et développées, notamment suite aux nouveaux terrains d’intervention ouverts par le design ces dernières années et à ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’extension du domaine du design » (Vial, 2015). À titre d’exemple, l’approche du projet de design par la modélisation systémique complexe a largement montré sa fécondité et c’est dans cette voie que nous souhaitons développer nos recherches, sans pour autant négliger d’autres cadres théoriques (p. ex. logique, éthique, esthétique). L’épistémologie du design thinking et la méthodologie de la recherche en design en est une autre. Enfin, il faudra également s’intéresser de plus près au volet « réception » des projets (usages, médiation, expérience, modes et projets de vie) dans toutes leurs dimensions (anthropologique, sociologique, sémiotique, phénoménologique, psychologique, communicationnelle, écologique, esthétique, etc.), qui a été largement négligé par la recherche en design au profit du volet « conception » (design studies).

Une recherche-action par le projet de design

À la question de savoir s’il convient de maîtriser la pratique du design pour conduire des recherches en design, la communauté internationale a déjà très majoritairement répondu par l’affirmative ou, moins dogmatiquement, qu’il convient de s’être familiarisé avec et engagé dans la culture et les situations de projet. C’est également la position de PROJEKT, revendiquant par là une approche épistémologique résolument pragmaticienne : les recherches que nous conduisons sont des recherches « par » le design (research through-design), conformément aux principes désormais largement adoptés par la communauté internationale (Michel, 2007).

 

Modèle conceptuel de la recherche-projet en design (S. Vial, V. Roussillon)

 

Grâce à la double compétence de PROJEKT (chercheurs et praticiens), tout projet de recherche s’appuie sur un (ou plusieurs) projet(s) de design dont les termes sont conclus avec des partenaires du monde socio-économique, soit sur proposition de notre part (research-driven), soit sur commande de leur part (design-driven). Nous estimons en effet que pour penser juste (en théorie comme dans l’action), il convient de penser en situation (grounded theory) (Glaser et Strauss, 1967) et c’est pourquoi il nous a fallu concevoir une approche épistémologique, méthodologique et stratégique originale que nous appelons « recherche-projet » (project-grounded research) (Findeli, 2010). Selon celle-ci, la recherche s’accomplit dans le flux d’un projet de design réel qui tient lieu de « terrain » de telle sorte que le modèle classique et désuet de la théorie appliquée se transforme en celui d’une théorie située (ou impliquée) dans un projet (Findeli, 2003). Il ne s’agit plus de valider une théorie dans une expérience mais d’engager une théorie dans le champ d’un projet.