Débat participatif lors du colloque ECRiDiL « Écrire, éditer, lire à l’ère numérique » (Nîmes 2016).

Qu’est-ce que l’innovation sociale ?

L’innovation sociale se distingue de l’innovation technologique, économique, culturelle par le fait de placer au centre de ses préoccupations l’individu, ses besoins et ses aspirations, et de s’appuyer sur la croissance et le partage. Elle englobe toutes les transformations observables dans les manières de vivre, d’habiter, de travailler et d’appartenir à différentes communautés de valeur. Elle concerne aussi les changements organisationnels dans les relations entre les politiques publiques et les citoyens, et engendre des coopérations renouvelées en incluant et en mettant en lien les parties prenantes dans le processus de changement sociétal. Plus précisément, l’innovation sociale « entend produire des réponses nouvelles à des besoins sociaux (ou des aspirations sociales) non satisfaits, en impliquant tous les acteurs concernés — en premier lieu les usagers — dans l’invention, l’expérimentation, la diffusion et l’évaluation de nouvelles solutions. L’innovation sociale est donc par essence locale et contextuelle » (Scherer et al., 2015).

Le concept d’innovation sociale apparaît au cours de la décennie 2000, parallèlement à ceux de l’innovation ouverte (Chesbrough, 2003), l’innovation ascendante (von Hippel, 2005), le Design Thinking (Cross, 1982, 2001, 2007, 2011 ; Brown, 2008), l’innovation sociale et durable (Manzini, 2007) ou encore l’innovation Jugaad (Radjou, Prabhu et Ahuja, 2012). À l’heure actuelle, il n’existe pas de définition unique et faisant autorité de la notion d’innovation sociale, puisqu’on peut recenser au moins 15 définitions différentes (TEPSIE, 2014). Il est néanmoins admis de les envisager à partir de 3 caractéristiques (TEPSIE, 2014) :

  • les innovations sociales ne sont pas prioritairement marchandes ; leurs bénéficiaires sont des collectifs, voire la société tout entière, plutôt que des entrepreneurs, des investisseurs ou des consommateurs ; leur but premier n’est pas le profit, elles se situent du côté des communs ;
  • bien qu’il ne soit pas exclu qu’elles puissent avoir des effets indésirables, les innovations sociales sont créées avec l’intention de répondre à des besoins sociaux de manière positive et bénéfique ; elles visent le « bien-être des individus et des communautés » (OCDE, 2011) ;
  • les innovations sociales prennent la forme de solutions nouvelles dans le développement ou la gouvernance desquelles les bénéficiaires sont directement ou indirectement impliqués et mobilisés, d’une manière participative qui transforme les rapports sociaux en améliorant l’accès au pouvoir (empowerment) et aux ressources des collectifs concernés.

Les innovations sociales favorisent donc l’émergence d’une société innovante dont le cœur se situe au croisement du politique, de l’économique, de l’académique et de la société civile.

Qu’est-ce que l’innovation sociale par le design ?

Depuis que le design a pris la mesure de sa responsabilité sociale, il intègre aussi bien les enjeux du développement durable (l’éco-conception pour un meilleur futur), les méthodes centrées-usager (le design centré-utilisateur pour de meilleurs produits), les approches participatives (la co-conception pour plus de démocratisation) et les questions intérêt général (le design des politiques publiques pour de meilleurs services publics). Désormais caractérisé par l’adéquation entre la forme, la fonction et la société, le design aujourd’hui se définit moins comme industrial design et plus comme social design, même si cette dernière expression n’a pas encore trouvé de définition claire et universelle.

Depuis une dizaine d’années, de nombreuses initiatives vont dans ce sens, tant du côté de la recherche académique que de la société civile ou du secteur public. On peut citer par exemple le centre de recherche Design Against Crime ou la fondation Nesta (Royaume-Uni), le centre de recherche Designing Out Crime (Australie), le Mindlab (Danemark), le réseau DESIS « Design for Social Innovation and Sustainability » (Italie) ou encore la 27ème Région et la plateforme SocialDesign (France). Au sein de ce mouvement mondial et émergent, PROJEKT souhaite se spécialiser dans une direction bien particulière que nous appelons l’innovation sociale par le design (social innovation by design), qui concerne de manière large tout ce que des designers ou des actions de design peuvent faire pour activer, soutenir et orienter les processus de changement social. Nous n’entendons pas par là un design social uniquement au sens restreint (c’est-à-dire cherchant à résoudre des situations particulièrement problématiques comme la pauvreté, la maladie ou l’exclusion sociale), mais un design social au sens large, qui concerne tout ce que des designers peuvent faire pour activer, soutenir et orienter les processus de changement social dans tel ou tel secteur de la société.

L’innovation sociale par le design ainsi conçue est liée au design durable, au design centré-utilisateur, au codesign, au design des politiques publiques, et plus généralement au design de services, incluant le design de services numériques. En impliquant les usagers comme parties prenantes dès le début de la conception, l’innovation sociale par le design comprend une dimension socio-politique par la reconnaissance du pouvoir d’agir des individus et des communautés. En outre, le designer opérant pour l’innovation sociale change de rôle : de créateur ou designer d’art, il devient facilitateur ou designer social. Il agit en intellectuel technicien (Maldonado, 1970) avec des compétences aussi larges que complexes pour transposer et concrétiser les défis à l’œuvre dans les différents secteurs de la société, en eux-mêmes très divers.